Une chambre à soi, de Virginia Woolf

Bravant les conventions avec une irritation voilée d’ironie, Virginia Woolf rappelle dans ce délicieux pamphlet comment, jusqu’à une époque toute récente, les femmes étaient savamment placées sous la dépendance spirituelle et économique des hommes et, nécessairement, réduites au silence. Il manquait à celles qui étaient douées pour affirmer leur génie de quoi vivre, du temps et une chambre à soi. 
« Pourquoi un sexe est-il si prospère et l’autre si pauvre ? Quel est l’effet de la pauvreté sur le roman ? » Virginia Woolf 


Nous sommes à la mi-juin et je commence à prendre du retard dans mon planning de publications initial pour ce Mois anglais 2019. Des éléments indépendants de ma volonté se sont immiscés et, si j’ai le temps de lire, j’ai dû reporter l’écriture de ce billet à plusieurs reprises. Mais bref, passons.
Aujourd’hui, je vous parle d’une auteure que je n’avais encore jamais lu, Virginia Woolf. Je vois déjà les yeux de certaines d’entre vous s’ouvrir en grand et leurs cheveux se dresser sur leur tête… Mais cet écart est déjà un petit peu réparé. L’hiver dernier, je n’ai pas pu résister à la tentation en librairie en ayant devant moi l’édition de Noël de son livre Une chambre à soi. Un texte particulier dans son oeuvre, qui fait office de pamphlet, ou comme un gros compte-rendu d’une intervention dans un colloque autour d’une thématique centrale.

La femme et le roman

Comme Virginia Woolf le spécifie en début de texte :

« Vous m’avez demandé de parler des femmes et du roman. […] Après avoir accepté de vous parler, je suis allée m’asseoir au bord d’une rivière et je me suis interrogée sur le contenu des mots « roman » et « femme » ainsi rapprochés l’un de l’autre. » p.7

De ce point central ressort toute une réflexion autour de la place de la femme dans la littérature, comme auteur mais aussi comme personnage. Quelle est la perception de la femme dans la littérature ? Quel est son véritable rôle ? Quand se révèle-t-elle véritablement ? Dans un texte divisé en six partie, Virginia Woolf construit sa réflexion sur cette problématique au gré de recherches dans les rayonnages du British Museum mais aussi en suivant du regard la société dans laquelle elle vit : l’accès à une bibliothèque universitaire interdit aux femmes sans autorisation du doyen, le regard porté sur le rôle de la femme dans la société… Une réflexion agrémentée de plusieurs surprises :

Je me rendis au guichet, pris une fiche, ouvris un catalogue de volumes, et….. les cinq points ici indiquent cinq minutes de stupéfaction, d’étonnement et d’égarement. Avez-vous quelque idée du nombre de livres consacrés aux femmes dans le courant d’une année ? Avez-vous quelque idée du nombre de ces livres qui sont écrits par des hommes ? p.41

Une réflexion qui tend à démontrer le modèle patriarcal dirigeant la société britannique contemporaine à l’auteure, cette dernière interrogeant la place de la femme dans la société même et le rapport de domination érigé par l’homme depuis toujours sur elle pour fortifier son impression de puissance : « C’est pourquoi Napoléon et Mussolini insistent tous deux avec tant de force sur l’infériorité des femmes ; car si elles n’étaient pas inférieures, elles cesseraient d’être des miroirs grossissants. Et voilà pourquoi les femmes sont si souvent nécessaires aux hommes. » p.54

Les absentes de l’Histoire

Je feuillette mon livre où j’ai multiplié les annotations pour retrouver des passages qui m’ont fait impression. Et je me dis que je ne peux vraiment pas tout noter ici, pour ne pas détruire la prochaine lecture d’une d’entre vous (pour celles qui ne connaissent pas encore ce livre).

En résumé, j’étais impressionnée par cette réflexion moderne pour l’époque et encore si contemporaine, de la part de Virginia Woolf, qui ouvre les yeux sans militantisme exacerbé sur la condition de la femme dans la société et son rôle minime dans l’Histoire, dû à son écriture par des hommes.

« Mais, ce qui me semble déplorable, continuais-je, regardant de nouveaux du côté des rayons, c’est qu’on ne sache rien  qui concerne les femmes avant le XVIIIe siècle. » (p.69)

De même dans la littérature, où Virginia ne relève de grands noms féminins du monde des livres que dans les rayonnages de la seconde moitié du XIXe siècle, en incluant les romans de Jane Austen, écrits quelques années plus tôt. Nous suivons Virginia dans sa déambulation entre les rayonnages du British Museum, réagissant à chacun de ses constats qui prennent l’apparence de révélations.
Tout cela pour arriver à une conclusion : la femme n’a pu que tardivement écrire car elle n’avait pas de « chambre à soi » ni de revenus permettant de consacrer du temps à l’écriture. car l’évolution du statut de la femme et sa possibilité de travailler pour gagner son argent n’est arrivée que récemment, mais aussi parce que tel n’était pas son rôle dans les sociétés d’époque que de prendre du temps pour elle afin de développer une réflexion. Ce n’était pas ce qui lui était demandé. Elle devait fonder une famille, élever ses enfants et nourrir son homme. Point.

Si je suis une femme du XXIe siècle et que ma condition de vie est bien meilleure que celle de tant d’autres générations précédentes, je ne peux que constater que les défis n’ont pas disparus. Ils ont évolué vers d’autres formes d’inégalités : salariales, sociétales… Pire, certains acquis gagnés par des femmes de combat ne cessent d’être menacés aujourd’hui par des rétrogrades toujours heureux du précepte « c’était mieux avant ». Ecrit en 1929, cet ouvrage est toujours d’actualité, incontestablement et je regrette presque de ne pas l’avoir lu plus tôt, tellement ce livre est édifiant pour la construction d’une pensée. Un texte important à faire lire aux adolescentes, qui deviendront les femmes de demain.

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Un livre lu dans le cadre du Mois anglais, dont vous pouvez retrouver toutes les publications sur la page Facebook.

Une chambre à soi, de Virginia Woolf
Editions 10-18, 176 pages, 7,50 euros

9 commentaires sur “Une chambre à soi, de Virginia Woolf

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  1. Je l’ai commencé et je n’ai pu poursuivre ce qui m’arrive très très rarement. Je crois que je l’ai lu à une période de ma vie où il ne devait pas encore être ouvert.

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